Attache ta ceinture, on part en voyage (mais ne t’inquiète pas, ça va faire sens après).
Promis, ce n’est pas juste pour meubler, tout deviendra limpide.
Chapitre 1 : En route pour Delphes !
Imagine-moi, version grec antique, en sandales (j’assume). J’ai une question existentielle, un truc crucial, et comme on est en -500, pas de Google, pas de Wikipédia. Pas même une encyclopédie poussiéreuse dans la bibliothèque du coin.
Quand tu as une question à cette époque, tu fais comme tout le monde : tu prends ton bâton, ton courage et tu pars en pèlerinage au Mont Parnasse à Delphes. Parce que là-bas, y’a l’Oracle, la Pythie, LA source ultime de savoir.
Bon, j’enfile donc ma tunique (plutôt seyante, d’ailleurs), et me voilà parti. Première étape : traverser la Grèce.
Déjà, Delphes, ce n’est pas la porte à côté. Les routes ne sont pas goudronnées, les auberges sentent la chèvre (mais il faut quand même les payer), et je dois esquiver quelques brigands en chemin. Ça me prend des jours et des jours, des sous et de sous, pour y arriver. Clairement, l’accès à l’info en -500, c’est coûteux et pas du tout rapide.
J’arrive enfin, crasseux, fatigué.
Évidemment, il y a une file d’attente. L’oracle, ce n’est pas un chatbot dispo 24/7. Je patiente sous le soleil, j’essaye de pas mourir de déshydratation, et quand enfin c’est mon tour, je dois me plier à tout un protocole rituel.
On jette du laurier dans un feu, on sacrifie une chèvre (rip), puis, seulement là, je peux poser ma question. Il faut que je la formule de façon ultra-pertinente afin d’être sûr d’être bien compris, sinon la réponse risque d’être à côté de la plaque. Je n’ai qu’une seule chance, après j’aurais passé mon tour.
Alors, la pression est grande, et après toutes ces galères…
J’ai oublié ma question.
Et dans la panique, je lâche « C’est quoi la recette des crêpes ?« .
Là, silence gêné. La Pythie me regarde, les prêtres me regardent, même la chèvre sacrifiée semble déçue de moi.
Et l’oracle répond, avec sa voix grave : « Mélange lait et farine, et le reste viendra.«
Pas hyper précis. Ni super fiable.
Et je repars, après des semaines de voyage, avec une recette sans intérêt dans ma besace.
Sans intérêt ? Pas pour tout le monde. C’est en partant d’une parabole similaire qu’Andrei Broder et Preston McAfee de chez Google ont inventé le concept des coûts delphiques, c’est-à-dire une représentation des coûts reliés à la recherche de l’information, dans le bien nommé article Delphic Costs and Benefits in Web Search: A utilitarian and historical analysis (disponible en pdf).
Lors de mon périple, j’ai ainsi dû payer le prix fort en coût d’accès (le voyage, les nuités, les repas), en coût cognitif (formuler la bonne question, comprendre la réponse), en coût d’interactivité (j’ai dû sacrifier une chèvre quand même et je suis passé pour un idiot avec ma question !). Finalement si je dois faire le coût global de cette petite expédition par rapport à ce que j’en rapporte, pas sûr que le ROI soit en ma faveur.
C’est clair, je ne suis pas prêt de prendre l’habitude de me rendre à Delphes à la moindre question qui me passera dans le ciboulot !
Chapitre 2 : Bienvenue dans le XXIe siècle (mais en fait, c’est pareil)
On a beau être en 2018, rien n’a vraiment changé.
Ok, je n’ai plus besoin de traverser la Grèce à pied pour avoir une info, mais je dois toujours passer par tout un parcours du combattant pour obtenir une réponse précise.
Prenons un cas concret :
J’ai une question : « Pourquoi les chats miaulent-ils ?«
Je vais sur Google (c’est moins loin que Delphes).
Je tape ma requête (il faut qu’elle soit bien formulée, mais personne n’est là pour me juger).
Je regarde les résultats.
Un site me dit que c’est un moyen de communication (c’est exemple est-il véridique ? je vous laisse y réfléchir).
Un autre parle d’un truc sur le stress du chat.
Un troisième explique que certaines races miaulent plus que d’autres.
J’ouvre plusieurs onglets (trop de réponses différentes).
Je passe quelques minutes à lire.
Je croise les infos, je finis par obtenir ma réponse.
Temps total : quelques minutes.
C’est mieux que plusieurs jours de marche, bien sûr, mais les coûts delphiques sont toujours là.
J’ai passé du temps, j’ai dû regarder plusieurs sources, démêler le vrai du faux, j’ai cliqué, scrollé, dépensé de l’argent en électricité, fait appel à des infrastructures très développées.
Bref, chercher une info me demande toujours du boulot. Moins qu’avant. Mais je suis un peu paresseux…
Chapitre 3 : Les moteurs génératifs, la Pythie en mieux (ou presque)
Et c’est là, fin 2022, que débarquent les moteurs génératifs (GSE, pour Generative Search Engine) comme ChatGPT, Gemini et consorts. Leur promesse ? Supprimer toutes ces étapes et donner directement la réponse.
Comment ça marche ?
Je tape (ou je demande en parlant) « Pourquoi les chats miaulent-ils ?« , et en arrière-plan le GSE va faire une recherche sur le web. Mais au lieu de simplement me refiler la liste des pages qui pourraient répondre à ma question, il fait l’extra mile : il lit les contenus et fabrique une réponse.
« Les chats miaulent pour communiquer avec les humains. Ils utilisent différentes vocalisations selon leur besoin, comme la faim, l’ennui ou l’appel à l’attention.«
Terminé. Une réponse, bien rédigée, propre, prête à être consommée.
Pourquoi c’est génial ?
Parce que ça dégomme les coûts delphiques :
Je n’ai pas perdu de temps, j’ai eu ma réponse aussitôt.
Je n’ai pas eu besoin de réfléchir, aucune source à croiser, le GSE l’a fait pour moi.
En plus, il compris parfaitement ce que je demandais, personne n’est passé pour un crétin, et j’ai eu ma réponse.
Ça rappelle quelque chose ? L’oracle de Delphes, mais en instantané.
Sauf que là où l’oracle donnait une réponse un peu surprenante, par forcément exploitable, le GSE synthétise une réponse claire et compréhensible.
Chapitre 4 : Mais attention, ce n’est pas magique non plus
Si tout était parfait, j’aurais déjà switché vers les GSE. Pourtant j’utilise encore souvent Google dans son plus simple appareil. Parce que les couts delphiques, bien qu’en chutes libres, représentent encore de petites fortunes.
D’abord, le moteur génératif, ce n’est pas une encyclopédie. Il connait beaucoup de chose, il génère du texte crédible, mais parfois… il invente n’importe quoi.
Je demande une date historique ? Souvent il met dans le mille. Parfois il se trompe.
Je veux une citation scientifique ? Je lui fais confiance, il m’en donnera une, même complètement inventée.
Ensuite, le format « réponse unique » donne une illusion de vérité. J’ai envie de croire cette belle réponse en costume trois pièces. Mais c’est super dangereux, imagine s’il se trompe ! Mais bon, la Pythie, parfois elle était cryptique, et on comprenait bien ce qui nous arrangeait.
Enfin, faire tourner un GSE, ça coûte une fortune. Pour l’instant, Google, OpenAI, Microsoft, etc. prennent en charge une belle partie des coûts techniques, parce qu’il faut faire venir le chaland. Mais quand on voit que des abonnements à 200$ par mois sont apparus chez OpenAI, on peut se demander si le coût delphique est vraiment en baisse.
Conclusion : L’inévitable transition vers la simplicité
Malgré ses défauts, le moteur génératif est l’avenir.
Pourquoi ? Parce que la simplicité l’emporte toujours.
Même si ça hallucine, même si ce n’est pas idéal, je préfère une réponse rapide et imparfaite qu’un long processus précis mais fastidieux. Sauf pour des choses très critiques. Mais bon, je peux devenir moins exigeant si je peux rester plus longtemps à faire la sieste…
Et puis, on nous promet que les GSE vont s’améliorer, devenir incollables et sérieuses. Alors, qui sait ?
Je ne traverse plus la Grèce à pied pour avoir une info, mais je cherche toujours à avoir l’accès au savoir le plus fluide possible.
Et le GSE, avec sa réponse instantanée, marque une nouvelle étape dans cette quête de simplicité.
Alors, prêt à dire adieu aux SERP et à suivre l’oracle 4.0 ?