Personne n’aime prendre de mauvaise décision. Dans certains domaines une mauvaise décision peut s’avérer très préjudiciable voire fatal. Toutefois, les données sur lesquelles on peut s’appuyer pour prendre ses décisions ne sont pas toutes certaines à 100%. Il est possible d’avoir un rapport contenant des fautes, récupérer des données depuis un capteur qui n’est pas fiable à 100% ou simplement qu’une information soit déformée avant de nous parvenir. Jauger de la pertinence et de la fiabilité d’une information pour l’incorporer dans son processus de décision est une tâche qui est faite constamment et aisément par les humains. Deux humains n’auront pas forcément la même valeur interne de fiabilité face à la même information, ni forcément la même valeur de pertinence ou de confiance. Les humains ne cherchent pas forcément à calculer LA valeur de vérité d’une information mais LEUR valeur de vérité, bien qu’ils confondent assez facilement les deux.
Bien entendu si l’on souhaite répliquer automatiquement le procédé pour que les machines puissent prendre des décisions automatiquement il est important d’utiliser un formalisme qui permette d’exprimer la complexité des situations rencontrées et d’être capables de combiner les informations reçues pour prendre la meilleure décision possible avec les données disponibles.
Un premier formalisme qui peut venir en tête est l’algèbre de Boole, aussi appelée logique booléenne. On y manipule des valeurs de vérité, VRAI et FAUX, que l’on peut combiner à l’aide de différents opérateurs comme ET, OU, NON, XOR, etc. L’algèbre de Boole part de valeurs de vérités qui sont absolues. On SAIT que les choses sont VRAIES ou FAUSSES et à partir de là on peut les combiner pour obtenir une décision. Il est rare cependant de posséder des données aussi fiables, les capteurs peuvent commettre des erreurs, on peut mal comprendre une information, etc.
La logique probabiliste est une extension de l’algèbre de Boole où l’on ne manipule plus des valeurs de vérité directement mais des probabilités. Cela permet de faire du raisonnement déductif sur les probabilités. Cela est beaucoup plus intéressant parce que maintenant il est possible de faire rentrer de l’imprécision dans notre processus de prise de décision. En effet, si un capteur me donne une certaine valeur, je peux utiliser la probabilité qu’il ait raison en fonction de son taux d’erreur. Cela me permet d’affiner mon processus et d’arriver à une prise de décision plus juste. Toutefois on ne connait pas forcément le taux d’erreur a priori d’un capteur et ce taux peut être amené à changer lors de la vie du capteur. Bien que ce formalisme soit plus à même de représenter des situations réelles, il n’est pas forcément suffisant. En effet, la logique probabiliste ne permet pas de modéliser l’incertitude. Ce qui peut s’avérer insuffisant dans de nombreuses situations.
Audun Jøsang a développé la logique subjective afin de pouvoir modéliser ses situations de la vie réelle. La logique subjective peut être vue comme une évolution de la logique probabiliste. Elle se base à la fois sur l’inférence Bayésienne et la théorie de Dempster-Schafer qui permet de raisonner en présence d’incertitude. La logique subjective a deux apports majeurs par rapport à la logique probabiliste, premièrement la valeur de vérité dépend de qui fait l’observation c’est donc le côté subjectif. Et la logique subjective incorpore également de l’incertitude.

Puisque les valeurs de vérité sont obtenues du point de vue d’un observateur on parle d’opinions. D’un point de vue plus formel, une opinion est un quadruplet (b, d, u, a). Pour des raisons de simplicité nous allons nous concentrer sur le cas des opinions binaires, mais la logique subjective est également définie sur des cadres plus généraux.
Le quadruplet (b, d, u, a) correspond :
- b, belief, la confiance de l’observateur dans la véracité de la variable
- d, disbelief, la défiance de l’observateur dans la véracité de la variable
- u, uncertainty, l’incertitude de l’observateur sur la valeur de vérité de la variable
- a, a priori, l’a priori de l’observateur sur la véracité de la variable
Pour être valide, un quadruplet doit respecter la condition suivante : b + d + u = 1. En somme le savoir est modélisé par la somme de la confiance, la défiance et l’incertitude. La valeur de vérité d’une variable binaire peut être obtenue avec la formule suivante
EX = b + u.a.
Bien évidemment, ce formalisme est plus compliqué que la simple algèbre booléenne et la logique probabiliste. Toutefois il faut être capable de l’utiliser à bon escient. Ce modèle plus complexe est donc plus compliqué à mettre en place et il faut être sûr d’avoir moyen de cette complexité pour représenter les données pour prendre des décisions.
L’intérêt de ce formalisme est de pouvoir faire évoluer l’incertitude des opinions au fil des observations. Ainsi les opinions peuvent se préciser au fil du temps jusqu’à éventuellement faire disparaître l’incertitude. L’intérêt de la logique subjective est justement de pouvoir combiner les opinions même en présence de cette incertitude.
Il existe plusieurs manières de combiner les opinions entre elles. Nous allons les passer en revue et discuter de leur intérêt. Il existe bien entendu les opérateurs équivalents aux opérateurs de l’algèbre de Boole pour les opinions de la logique subjective. Ils permettent d’obtenir des opinions sur des combinaisons de valeurs de vérité. Nous allons nous attarder sur les opérateurs qui permettent de fusionner les opinions venant de différents observateurs.
Tous ces opérateurs ont des définitions mathématiques précises que nous ne présenterons pas dans ces articles. Nous discuterons plutôt de l’utilité des opérateurs et du contexte dans lequel il est pertinent de les appliquer.
Un premier opérateur très intéressant est l’opérateur de transitivité ou de recommandation. Imaginons qu’un observateur A ait une opinion sur un observateur B et que ce serait dernier ait une opinion sur une variable X. Il est possible de combiner les deux opinions pour obtenir l’opinion de A sur la variable X.
Il existe plusieurs opérateurs de fusion qui sont utilisables lorsque plusieurs observateurs souhaitent déterminer une valeur de vérité à partir de leurs différentes opinions. Il est possible de cumuler les opinions, à l’aide de l’opérateur de cumul, pour profiter des expériences de chacun afin de réduire l’incertitude globale ou de faire la moyenne des opinions de chacun, à l’aide de l’opérateur de consensus, pour avoir une opinion moyenne. Cela permet de pondérer la croyance et l’incertitude de chacun.
Un dernier type d’opérateur très intéressant et très important en logique subjective est l’opérateur dit de « belief constraining ». Cet opérateur est à réserver pour les cas où les différents observateurs cherchent à tomber d’accord à partir de leur expérience personnelle. Ici on ne cherche pas à fusionner les expériences de chacun pour accroître la connaissance globale mais on cherche à trouver un choix qui convient à tout le monde. Cet opérateur est très important car il permet de prendre des décisions entre différents agents.
Ce formalisme assortit de ces opérateurs permet non seulement de modéliser des situations réalistes mais fournit les outils pour pouvoir combiner les données et prendre des décisions dans ces contextes incertains. La logique subjective est un excellent formalisme pour représenter la confiance par exemple. Cela a été fait avec succès par le passé. Ce formalisme a aussi été utilisé pour penser un système de répartition des étudiants en groupe. L’expérience de chaque étudiant étant très personnelle, cela permet de ne pas simplement se baser sur la performance des groupes mais également sur l’expérience de chacun pour assembler des groupes le plus fonctionnels possible.
Prendre des décisions de manière automatique dans des contextes incertains peut s’avérer périlleux. Dans ce cadre il est confortable de pouvoir se reposer sur des cadres théoriques solides tels que la logique subjective pour pouvoir combiner des informations incertaines et prendre la meilleure décision possible.
La logique subjective offre un cadre puissant pour modéliser et gérer l’incertitude dans la prise de décision. En intégrant des concepts comme la croyance, le doute et l’incertitude, elle permet de combiner des opinions subjectives de manière cohérente et d’améliorer la qualité des décisions prises dans des contextes incertains. Que ce soit dans la sécurité informatique, l’analyse des risques ou la gestion de projets, la logique subjective a prouvé son utilité. Pour ceux qui souhaitent explorer davantage ce domaine, des implémentations et des ressources sont disponibles, facilitant l’adoption de cette approche. À l’avenir, l’application de la logique subjective dans des domaines émergents comme l’intelligence artificielle et l’apprentissage automatique pourrait ouvrir de nouvelles perspectives passionnantes.