Dans beaucoup de domaines, l’écologie est devenue importante : alimentation, produits ménagers… Dans l’informatique, je ne sais pas trop pourquoi mais c’est peu discuté ou alors lors de quelques conférences sur des événements.
Dès qu’on aborde l’éco-conception, le doux nom donné à cette partie du web, le sujet qui revient fréquemment est celui des serveurs avec le côté énergivore des data-centers (on entend aussi les termes “sobriété numérique” ou “pratiques durables”).
Maîtrisant beaucoup moins cette partie, moi je m’intéresse plutôt au front-end et sur ce qui pourrait évoluer côté pratiques UX et Product Design. Si vous n’avez pas lu mon article sur l’accessibilité dans le web, c’est le moment.
Le but à travers cet article n’est en aucun cas de pointer du doigt les mauvaises pratiques de l’utilisateur mais au contraire de sensibiliser et d’amener des pistes de réflexion côté développeur.
L’éco-conception et le souci du stockage
Mais d’abord, qu’est-ce donc que l’éco-conception ? Éco-concevoir, ça consiste en quoi ? C’est un terme du web qui consiste à penser, développer et maintenir des interfaces numériques en minimisant leur impact environnemental.
Cela ne veut pas dire sacrifier l’expérience utilisateur pour autant, mais plutôt rechercher l’efficacité et la sobriété : moins de requêtes inutiles, moins de scripts superflus, moins de poids à charger.
Un site rapide, léger, accessible et bien structuré est non seulement meilleur pour l’utilisateur… mais aussi pour la planète. Chaque octet compte quand on parle de milliards d’utilisateurs. Et c’est là la plus grosse problématique, le stockage.
Même si le stockage de données est beaucoup moins un problème qu’il ne l’a été il y a quelques décennies dans l’informatique, on sauvegarde énormément de données au quotidien. Quelque part sur une machine.
À l’heure où la consommation numérique explose, il devient essentiel de repenser nos façons de concevoir les interfaces en ligne. Le web éco-conception ne se limite pas à quelques ajustements techniques : c’est une démarche globale qui vise à rendre nos sites et nos pratiques numériques plus durables. Chaque action sur Internet – visionner une vidéo, charger une page, envoyer un message – mobilise des ressources et consomme de l’énergie. C’est donc toute l’architecture de nos produits digitaux qui doit être pensée dans une logique d’impact durable.
Concrètement, cela signifie que les développeurs responsables et les designers doivent s’interroger sur l’empreinte laissée par leurs choix. Comment réduire le poids des pages ? Comment optimiser les parcours pour éviter les clics inutiles ? Comment limiter le recours à des scripts tiers énergivores ? Le développement responsable passe par une volonté de sobriété sans pour autant sacrifier l’expérience des utilisateurs. En adoptant des pratiques durables, nous pouvons collectivement réduire la consommation numérique tout en construisant un web plus efficace, plus rapide, et plus respectueux de l’environnement.
L’exemple des messageries
Il est presque loin le temps où les gens échangeaient par SMS (“kikoo, sa va?”). Aujourd’hui, la plupart d’entre nous discutons par le biais des réseaux sociaux (WhatsApp, Messenger, Instagram, TikTok, et j’en passe).
Il faut dire que c’est plus confortable et accueillant :
- voyant indiquant la lecture par son destinataire
- système d’emoji pour réagir à chaque message
- possibilité de créer des groupes de plusieurs personnes facilement
- interface jolie et personnalisable
- synchronisation sur différents appareils du même utilisateur
- discussion avec des personnes même à l’étranger
- partage d’image/fichier/GIF
- envoi de messages vocaux
- création de sondages…
Une liste non exhaustive de fonctionnalités qui nous font préférer les messageries des réseaux sociaux aux classiques SMS.
Mais ça ne s’arrête pas là puisqu’on a aussi tous l’habitude d’écrire de courts messages.

Dans cet exemple, on peut suivre le fil de ma pensée. J’ai réfléchi au fur et à mesure que j’écrivais et plutôt que d’attendre quelques secondes avant d’envoyer. J’envoie le message, je continue de réfléchir et pense à des indications supplémentaires que j’ajoute dans un 2e puis 3e message, avec un “stp” en bonus parce que la politesse avant tout.
C’est très fréquent d’écrire comme ça, encore plus chez les joueurs en ligne sur PC qui écrivent par morceaux de phrase parfois dans leurs MEUPORG.
Là si vous n’êtes pas dans l’informatique, vous ne voyez peut-être pas le problème en comparaison avec l’exemple qui suit :

C’est tout bête, comme je l’ai expliqué plus haut, le souci c’est la mémoire. Un message, c’est 1 ligne stockée quelque part dans une base de données. Donc si on a 4 messages plutôt qu’un seul, on a 4 fois plus à stocker…enfin non…c’est même plus que ça puisque si on reprend notre liste de fonctionnalités, pour chaque message envoyé, on va aussi stocker les réactions avec emoji, la synchronisation à différents appareils ou plein d’autres petits trucs faits en arrière-plan.
À titre de comparaison, un message texte WhatsApp est 1000 fois plus lourd qu’un SMS. Et un message vocal d’1 minute sur WhatsApp est 100 000 fois plus lourd qu’un SMS. Sauf que le SMS ne figure que sur la mémoire interne et celle de notre destinataire. Là où le message WhatsApp peut rester sauvegarder indéfiniment sur le cloud.
Ça fait un peu réfléchir à deux fois avant de renvoyer 5 vocaux de 1 min à son pote… mais d’un point de vue développeur, ça me fait aussi réfléchir.
Finalement, pourquoi ne pas fusionner les messages écrits par le même utilisateur dans un intervalle de temps d’une minute en un seul message ? Avec éventuellement des sauts de ligne entre chaque pour conserver le flux de pensée et aérer le message.
Ça ne mange pas de pain comme petite astuce, sans chercher à faire un jeu de mots en lien avec mon exemple.
L’exemple des emails
L’anecdote qui ressort souvent, c’est qu’un email qui traîne dans notre boite mail pendant 1 an, c’est l’équivalent d’une ampoule basse consommation qui reste allumée 1h.
Ça paraît assez peu quand on y pense. Mais quand on multiplie le nombre d’emails qui s’accumulent et qu’on n’ouvre jamais, ça devient un peu plus parlant.
200 emails pendant 1 an, c’est 200 ampoules qui tournent pendant 1h. Multiplié par 10 millions de français, ça commence à ressembler à Versailles.
Alors oui, le premier geste, ce serait de faire le ménage dans nos boîtes mails bien surchargées. Heureusement le système de spam fait déjà de la suppression automatique au bout de 15 jours.
Même quand on fait ses courses et qu’on nous propose le choix entre ticket papier ou facture envoyé par email, le côté pratique tend à privilégier l’email. Dans les faits, un email est souvent accompagné d’une pièce jointe et est finalement 3 à 4 plus énergivore qu’un simple ticket qu’on mettrait directement à la poubelle (du moment qu’il va dans le tri sélectif).
Dur de constamment faire le tri dans sa boîte mail sans devenir un maniaque de la suppression.
L’idéal serait de ne pas avoir d’email et que les factures soient envoyées uniquement sur demande du client. Ou bien générées via un lien ou un QR code temporaires, plus légers qu’un email avec pièce jointe. Typiquement, l’intérêt est très faible de conserver son ticket de caisse pour des courses alimentaires au-delà de 48h.
On peut se poser la question également de la pertinence de l’envoi d’email. En tant que développeur, est-ce impératif d’envoyer un email pour chaque notification (“nouveau commentaire de …”, “un nouveau document a été ajouté”, etc) si ces emails ne sont majoritairement pas lus ?
L’exemple des publications
Un autre exemple qui me questionne, c’est celui des publications sur les réseaux sociaux. Notamment sur Facebook, il y a cette fonctionnalité souvenir qui nous rappelle des événements il y a X années. Autant c’est chouette quand il s’agit d’un album photo d’un bon moment en famille ou entre amis, autant quand c’est pour nous sortir une publication qui ne me remémore strictement rien du tout, j’y vois pas trop l’intérêt.
Typiquement :

Outre mon déjà fort penchant pour le cinéma il y a 15 ans, on y trouve rien de bien intéressant. Et pourtant, ces 3 publications sont stockées quelque part dans le monde depuis 15 ans. Pour une publication stockée : chaque like, chaque commentaire et chaque like de commentaire sont aussi stockées.
Mais finalement, est-ce que dans 70 ans, ce sera hyper important d’avoir toujours ces données stockées ? Non.
Est-ce que c’est important de savoir qui a aimé cette publication il y a 15 ans ? Non et on pourrait juste se contenter du nombre brut de likes plutôt que d’avoir le détail.
Je me pose la même question quand je regarde Youtube. Certaines vidéos sont intemporelles. Mais la plupart des vidéos parlent d’actualités, de résultats sportifs, etc. Tout autant de vidéos qui n’ont déjà plus de sens d’être regardées au bout d’un mois.
Qui aurait envie de regarder une personne qui réagit à l’épisode 3 de Game of Thrones saison 7 cinq ans après la diffusion de l’épisode ? Personne.
Qui aurait envie de regarder une vidéo de 2018 qui parle de la dernière victoire du PSG en Ligue 1 cinq ans plus tard ? Personne.
Ma petite âme de développeur aurait envie de rajouter un bout de code pour supprimer automatiquement après 2 mois la plupart des données, sauf demande particulière de l’utilisateur. Un peu à la manière de Snapchat où tout est temporaire et l’utilisateur choisit ce qu’il souhaite sauvegarder de manière intemporelle.
Pourquoi les entreprises ne font rien ?
Je me suis mis dans la position des entreprises afin de comprendre pourquoi ça ne les intéresse pas de supprimer ces données.
Premièrement, je pense qu’elles se disent que l’utilisateur doit pouvoir accéder à son historique à tout moment et que le stockage d’informations n’est qu’un problème financier et pas écologique.
Deuxièmement et pas des moindres, j’imagine que c’est surtout dans le but de revendre de la donnée ou d’utiliser ces données à d’autres fins. Car oui, même si mes publications datent d’il y a 15 ans, il y a peu de chances que mon attrait pour le cinéma ait disparu. Donc c’est une donnée pertinente à utiliser.
Mais peut-être qu’on pourrait simplement générer une fiche type de chaque utilisateur qui éviterait d’avoir à stocker autant de données.
Les leçons à tirer
Cet article ne vise pas à juger nos pratiques d’utilisateur. Se retirer des réseaux sociaux ou arrêter de réagir avec un 🤣 sur un message d’ami peut vite paraître asocial. Il faut reconnaître que le numérique nous apporte du confort : lire tranquillement un message, envoyer un audio ou un GIF, ça fait partie de notre quotidien.
Mais si j’ai pu vous sensibiliser, ne serait-ce qu’un peu, à l’empreinte énergétique de ces usages et à l’impact de notre consommation numérique, alors j’aurais rempli ma mission. Car au-delà des gestes individuels, c’est aussi en tant que développeur qu’on peut agir, en cherchant des solutions discrètes mais efficaces pour alléger nos interfaces. Qui remarquerait vraiment qu’un “ok” envoyé en 2014 n’est plus là ? Et pourtant, combien de milliards sont stockés inutilement aujourd’hui ?
Alors non, je ne milite pas pour un boycott des gifs ou des vocaux (j’en abuse sûrement autant que vous). Mais si on commence à intégrer cette notion d’impact durable dans nos choix techniques, on avance, à petits pas, vers un internet plus responsable.
Parce que coder pour demain, c’est surtout réfléchir aux ressources qu’on mobilise aujourd’hui.